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PHILIPPE DE CHAMPAIGNE
par José Gonçalves
Trois textes
: Avant-propos (extraits) du livre,
Pourquoi ce Paysage acquis par le musée de Lille n'est pas de Philippe
de Champaigne ?
et Le Noir
Les célèbres portraits de Richelieu ou de Port-Royal ne sont
qu'une infime partie d'une œuvre immense et variée, la seule du siècle à
couvrir en cinquante ans d'activité trois règnes : Louis XIII, Mazarin et la
Régence, Louis XIV, qui ont forgé l'identité de la France moderne. Philippe de
Champaigne est le plus pertinent interprète de l'autorité : mais son adhésion
spontanée, désintéressée, aux valeurs de l'opposition procède néanmoins d'une
indépendance de pensée et d'une lucidité d'esprit uniques en son siècle.
Partisan de la tradition mais créateur du premier tableau d'histoire de la
peinture française ; prodigieux portraitiste ami des jansénistes ; peintre exclusivement,
mais plus curieux qu'aucun de ses pairs de toutes les techniques et de tous les
genres : au temps de la raison qui connut le déchaînement aveugle des passions,
le rouge fut la couleur fétiche du plus singulier représentant de l'idéal
classique.
Que Philippe de Champaigne soit un grand peintre méconnu, c'est ce qu'a
proclamé et confirmé en 2007 l'exposition de Lille-Genève, laquelle portant ses
peintures au devant des visiteurs n'a cependant pu ou n'a pas su se défaire des
clichés d'un romantisme rétrograde : ainsi le parti-pris thématique qui n'était
pas le plus judicieux pour une première rétrospective ne revient-il pas à
approuver des étiquettes successives et tendancieuses ? Une quinzaine de
tableaux attribués abusivement au maître, datations arbitraires, notices du
catalogue banales et sans arguments, absence totale de Mazarin (tout comme dans
le livre de Pericolo), sont autant d'approximations inexcusables. Relevons en
deux, symboliques : le Moïse en couverture du catalogue n'est présenté qu'à
Genève : la logique ne commandait-elle pas de choisir une peinture commune aux
deux manifestations ? Puis le choix, non moins contestable, comme porte-parole
sur les affiches, de ce Richelieu octogonal controversé dont le rejet par
Bernard Dorival n'a pas même entrainé un minimum d'arguments favorables qui
justifiât sa présence dans l'exposition, traduisait une incohérence
définitivement consternante au vu de la seconde affiche qui reprenait le seul Moïse
de Genève !
Comment du reste espérer logiquement quelque pertinence ou nouveauté de
l'analyse d'un "spécialiste" du peintre qui ne lui a consacré (de son
propre aveu : ainsi qu'il ressort des bibliographies croisées dans les
catalogues de Lille-Genève, d'Evreux, et dans le livre de Pericolo.) que quatre
articles en près de 20 ans, et pas davantage sur l'atelier ; des textes de
circonstance, commandés à l'occasion d'un colloque ou d'une exposition, ils ne
sont pas toujours fiables, puisque c'est l'un d'eux qui a exposé la ridicule
hypothèse des paysages pliés à angle droit ! En moins de temps et avec des
moyens autrement plus limités, j'ai notamment publié huit études sur Philippe de Champaigne, et dès
1995 le premier
livre grand public. Quant au maître d'oeuvre à Evreux, il n'a, lui, à son
actif qu'un seul article, remontant à 1988, déjà sur le cycle de Saint Benoit
dont il réïtère les conclusions erronées à 20 ans de distance !
Cette méconnaissance, cet arbitraire sont d'ailleurs dénoncés par qui de droit.
Que Pierre Rosenberg appelle de ses voeux dans l'avant-propos même du catalogue
de l'exposition d'Evreux, et après avoir visité celle de Lille-Genève le
"jeune historien [qui] acceptera de consacrer (de sacrifier) au grand
Philippe de Champaigne la vingtaine d'années indispensable à rétablir ce grand
peintre dans sa vérité ", il confirme implicitement combien ceux qui
s'agitent officiellement sur le sujet sont loin du compte : on ne saurait
imaginer plus sévère verdict venant d'un pair aussi reconnu.
A l'artificialité source d'erreurs d'une étude thématique, j'ai pour ma part
préféré une ordonnance chronologique, complète et systématique, équilibrée en
quatre parties : Il en résulte je crois un artiste certainement plus chaleureux
et complexe que le très conventionnel illustrateur religieux qui a prévalu
jusqu'à ce jour.
Plusieurs thèmes sont ici abordés pour la première fois, qui apportent un
éclairage nouveau sur l'art de Philippe de Champaigne. La relecture
systématique de ses œuvres m'a amené à des révisions de fond, depuis les
premiers tableaux jusqu'à l'identification de sa dernière peinture ; de
l'entrée d'œuvres inédites, certaines en collection privée, jusqu'à des
exclusions inattendues. Des ensembles sont reconstitués, parmi lesquels des
décors détruits, dont on prétend avec quelle hâte que rien n'en peut témoigner.
La plus grande vigilance a été apportée à présenter une datation fine et
cohérente : parfois une rectification de plus de deux décennies s'est imposée.
J'ai d'autre part distingué des œuvres considérées jusque-là comme des
répliques, ou des études. De nouvelles propositions de localisation enfin
feront par exemple voler en éclats l'extravagante hypothèse, pourtant reprise
en choeur avec une consternante absence d'esprit critique par les historiens,
des "fameux" paysages pliés. Toutes les Annonciations existantes sont
ici identifiées et localisées ; tous les portraits d'apparat de Richelieu
attribués, datés et localisés. L'activité durant la décennie 1642-1652
notamment est ainsi régulièrement restituée, sans vide notable.
Il est de bon ton de faire aujourd'hui la fine bouche devant les conclusions
(d'ailleurs plus inspirées et partielles que caricaturales) de l'incontournable
ouvrage de référence de Bernard Dorival : c'est oublier un peu vite que son
livre nourrit toute étude sur Philippe de Champaigne. Les nombreux désaccords
ici développés sont simplement l'inévitable conséquence de trente ans d'écart.
Pour ma part, je rends hommage à un homme attentif et ouvert, que j'ai connu et
admiré.
En revanche le livre de M. Péricolo qui à sa sortie a pu faire illusion s'avère
en définitive aussi arbitraire que peu convaincant. Mal construit : cinq des
neuf chapitres concernent la seule période de jeunesse du peintre ! l'auteur y
accumule les erreurs historiques ((je ne parle pas de divergence
d'interprétation). Un exemple parmi d'autres : l'identification de Louis XIII
dans le dessin de la page 201 n'est pas recevable tout simplement parce que le
personnage porte la croix de l'Ordre du Saint Esprit au bout d'un ruban bleu,
alors que la noblesse d'épée, dont est issu le roi, avait droit au collier !
Trois pages de démonstration s'avèrent bien éloignées de la simple vérité
historique. M. Pericolo avance des datations, des attributions ou des
historiques souvent approximatifs dont les failles seront ici mises en avant ;
ses conclusions ne sont finalement ni pertinentes, ni satisfaisantes. Des
treize peintures étudiées comme des dernières années, quatre seulement le sont
effectivement.
Ma qualité de peintre diplômé de l'Ecole Nationale Supérieure des Beaux-Arts de
Paris sanctionnant six années d'études, forte d'une familiarité de vingt-cinq
années avec Philippe de Champaigne ne vaut-elle pas l'autorité de l'historien
de l'Art ? Je suis un technicien pratiquant à longueur d'année cette peinture
sur laquelle beaucoup qui n'en possèdent pas même la théorie bavardent à
satiété. Des bases solides, des faits incontestables, associés à la
connaissance matérielle et à l'exercice pratique et régulier de la peinture :
dans ces conditions seulement je puis apporter à la connaissance de Philippe de
Champaigne de nombreux développements non moins fiables et illustrer la
nécessaire complémentarité, souvent revendiquée mais rarement effective, entre
le point de vue de l'historien de l'Art et celui du technicien de la peinture.
Un effort d'autant plus légitime que les peintres eux-mêmes par leur
complaisance à multiplier les apostrophes gratuitement dithyrambique en lieu et
place d'une indispensable clarté démonstrative ont constitué le principal
obstacle à cette convergence des énergies.
Mais je ne me fais guère d'illusions sur la réception de ce livre qui m'a coûté
25 ans de travail constant : on n'acceptera pas aisément tant de remises en
cause, souvent sur des points essentiels, et de conclusions iconoclastes
énoncées par un étranger au sérail comme il me le fut reproché. Ce texte ouvre
sur des prises de positions si nombreuses et inattendues jusqu'à bouleverser ce
que l'on croyait acquis depuis prés de trois siècles, qu'il me faut insister
auprès du lecteur : "il n'est pire sourd que celui qui ne veut point
entendre". Mais quoi de plus naturel finalement que la légitime suspicion
envers le gêneur qu'on n'attendait pas, et le scepticisme qui d'entrée
accueillera des conclusions radicales concernant notamment des tableaux aussi
célèbres que L'Ecce-Homo ou La Samaritaine : ils n'ont pas été
peints pour Port-Royal ! C'est pourquoi, avant de rejeter mes affirmations,
voire ignorer mes argumentations, que l'on mette à l'épreuve, en toute
impartialité, la validité de ce qui passait pour acquis ; rappelez-vous par
quels moyens approximatifs, sur quels minces indices improbables ces chefs-d'œuvre
ont acquis la réputation qui est la leur. S'il est difficile de bâtir là où il
n'y a rien, il l'est plus encore de devoir démolir ce qui menace de chanceler,
pour reconstruire avec plus de conviction. JOSE GONCALVES Novembre
2007-Septembre 2008
On
connaissait déjà le Philippe de Champaigne mal-aimé, il faut aujourd'hui
compter le Philippe de Champaigne mal-servi.
Paysage, vente Tajan du jeudi 26 juin 2008, Paris |
Pourquoi ce Paysage
acquis par le musée de Lille n'est pas de Philippe de Champaigne ?
Le paysage
La tradition flamande dont se réclame Philippe de Champaigne construit l'espace
au moyen de trois plans colorés : brun-vert-bleu ; il manque ici le premier
plan brun, présent sur tous les paysages connus de l'artiste.
La couleur, limitée, ne participe pas à la construction de l'espace, elle
remplit des surfaces ; la conséquence est qu'elle ne donne pas le foisonnement
des paysages ,de Philippe de Champaigne.
La liaison trop vague du château avec l'éperon rocheux ne présente pas la
moindre séparation entre architecture et nature : au contraire, Philippe de
Champaigne accentue l'enracinement par la multiplication de reliefs aspérités,
creux, ombres et lumières.
Contrairement à ce qui nous est montré, Philippe de Champaigne situe toujours
son point de vue à l'orée d'une forêt.
Les arbres de gauche sont un motif plaqué, sans liaison avec le reste de la
composition : il suffit d'ailleurs de masquer cette partie pour faire ressortir
l'excessive nudité du paysage, avec sa végétation anecdotique, d'une minéralité
étrangère à Philippe de Champaigne.
Ses paysages montrent des mouvements de terrain plus variés et abrupts :
falaises, crevasses et vallées sont à rapprocher des Alpes, alors qu'il n'y a
ici que les rondeurs assoupies du Massif Central !
Les plans se détachent systématiquement en sombre sur clair, loin de
l'imbrication constructive de Philippe de Champaigne.
Les personnages
Style miniaturiste, tant dans l'écriture que dans la morphologie des
personnages : aucun n'a la robustesse et la pesanteur caractéristique des
figures de Philippe de Champaigne.
Leur relation avec le château, pourtant accentuée par le geste de l'une
d'elles, n'est pas explicite, ce qui nous éloigne de l'esprit didactique de
PdC. Dans cette perspective, l'artiste recourt généralement à des couleurs
primaires pour draper ses figures : nouvelle différence ici.
D'autre part, tous les paysages connus de PdC servent de cadre à une scène
biblique, ce qui n'est pas le cas ici.
Il s'agit manifestement de deux soldats, au vu de l'épée, motif rarissime,
voire absent chez Philippe de Champaigne.
Enfin, le pittoresque de ces deux figures est étranger à Philippe de Champaigne
: aucun des bergers des nombreuses Adorations, pour prendre des exemples
populaires, ne saurait leur être rapproché.
Les deux personnages ne sont pas situés de manière cohérente dans l'espace : s'appuyant
tous deux sur le même rocher, ils donnent l'impression d'être l'un derrière
l'autre, alors qu'ils sont cote à cote.
La technique
La peinture semble uniformément opaque dans toutes ses parties : les ombres
notamment ne sont pas des réserves avec des couleurs transparentes laissant
voir la toile, comme chez Philippe de Champaigne. José Gonçalves, le 23
juin 2008.
Je puis ajouter aujourd'hui aux arguments de cette lettre :
-Le premier plan est réduit à une étroite bande, ce qui ne se rencontre jamais
dans aucun paysage de l'artiste, même lorsqu'il ne s'agit que d'un motif
accessoire d'une plus vaste composition : ainsi dans L'Assomption
d'Alençon, La Samaritaine de Caen, etc... Au contraire, le premier plan
toujours trés profond se subdivise encore entre proximité et distance, ce que
matérialise un chemin placé en perspective.
-Il n'y a ici aucun effet de redondance fréquent chez les paysagistes du
XVIIème siècle et chez Philippe de Champaigne en particulier ; même s'il n'en
systématise pas le principe, observons cependant dans tels paysages ; les
Miracles de Sainte Marie Pénitente (Louvre), Paysage avec Paphnuce
délivrant Thaïs (Louvre), Les Enfants Montmor (Reims), Jésus retrouvé
au Temple (Angers),etc... comme le profil blanc des nuages reprend la ligne
de crête des reliefs, rochers ou constructions... Le Paysage de Lille
ignore ce type d'effet.
Une attribution ne tient que
si elle peut intègrer une exception dans un faisceau de convergences : laquelle
exception acquiert valeur d'originalité. Mais ici, nous sommes en présence d'un
faisceau d'exceptions, lequel infirme définitivement toute velléïté
d'attribution à Philippe de Champaigne. Quant à l'auteur de ce Paysage,
je donne rendez-vous aux lecteurs fin mars 2009 avec la parution sur le site
www.josegoncalves.fr du chapitre des désattributions dans le catalogue
raisonné de l'oeuvre de Philippe de
Champaigne.José Gonçalves,4
septembre 2008
©José Gonçalves 2009 |
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